Avec nos piètres performances musicales, on sentait bien qu’on commençait à taper sur les nerfs de Roro. Pourtant, nous avions tenté de l’amadouer mais sans chocolat nous étions impuissants ! Notre bonne étoile heureusement avait pourvu le refuge de deux suisses aussi patibulaires que frimeurs, et en comparaison nous semblions de nouveau fréquentables…
Las, grisés de ce retour en grâce, nous avions voulu trop en faire ! Roro a d’abord beaucoup ri en découvrant deux psychopathes qui se brossaient les dents, la regardant fixement au pied du lit. Et puis elle a eu peur… Nous n’avons donc échappé à une nuit à la belle étoile (c’est faux on les voit pas en Écosse !) que contre la promesse de nous exiler toute la journée du lendemain sur une arête située aussi loin que possible de la leur.

C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec Vincent sur North-East Buttress (IV/4, D+) pour notre seconde voie au Ben Nevis. Si cette arête est une grande classique de difficulté modérée, elle n’en reste pas moins délicate et engagée, surtout dans les conditions que nous rencontrions : beaucoup de neige fraiche posée sur rien et pas de traces ! Nous avons donc décidé de nous lever tôt et d’attaquer l’arête de bon matin pour garantir un retour dans la journée…
Le leader de la cordée anglo-galloise qui était notre voisin de dortoir trouvait ça apparemment très drôle, et se moquait de nous d’un air narquois : « Ces petits froggies s’inquiètent d’un rien quand ils ne voient plus la queue d’un spit » pensait-il très fort.
Il faut dire que sur le papier et à l’oral, ce mec était un cador !

N’écoutant pas la perfide Albion, nous avons donc démarré selon nos plans : « Messieurs les français, tirez (au clou) les premiers ». L’approche est vite avalée, mais l’arête est impressionnante et notre méforme aussi. Loin de tout glacier, nous sommes pris du mal des rimayes, cette douce maladie qui souffle à l’alpiniste des excuses en pagaille pour faire demi-tour à l’attaque d’une voie. Nous savons qu’une longue entreprise de BTP nous attend dans la neige fraiche (BTP = Brasse Ta Poudreuse), et que les difficultés sont situées dans les 50 derniers mètres de l’arête avec une retraite douloureuse en cas de but…
Nous décidons donc d’appliquer la stratégie habituelle : nous réfléchirons au problème ce soir devant le poêle…
Afin d’accéder à l’arête proprement dite, l’itinéraire évite le premier bastion (à priori ici c’est une tradition d’éviter le premier ressaut ?) et c’est par une longue traversée que nous rejoignons la first platform où nous nous encordons.
Une première longueur de mixte facile mais très agréable permet de se chauffer le corps et mène sous un bastion raide. Inconvénient, le sang après avoir réchauffé nos orteils et nos doigts arrive froid au cerveau et met les neurones en hibernation. Conséquence, je pars tête baissé dans un contournement du ressaut par la droite et y trouve un piton. J’aurai dû me méfier, il n’y a pas d’équipement en place dans les itinéraires du Ben Nevis -rarement en tout cas- je ne suis donc pas dans la voie.
Voyant un relais plus loin, puis des goulottes repoussantes, j’en déduis que je peux continuer. Les pieds sur de petites réglettes, les piolets mal crochetés, j’avance en traversée vers un vilain dièdre que je franchi protégé par une très mauvaise « épinette » (une sorte de lame plantée dans une fissure remplie de terre). Les neurones enfin réveillés, je fais don aux suivants d’un vieux mousqueton et je rejoins Canard à mon point de départ en traversant à la corde…

Si ce n’est pas de ce coté, c’était donc de l’autre ! Une goulotte bien plus facile le confirme et mis à part une tentative de noyade dans la neige profonde, aucun obstacle ne se dresse devant nous pour rejoindre la second platform. Le vide devient rapidement présent car nous progressons en traversée, et nous commençons à comprendre certains concepts du Ben Nevis Style dont la fameuse « broche en carton » : face à l’absence totale de protections pendant parfois 50m, on est tenté de mettre ce qu’on peut. Par exemple, de poser une broche à travers un bout de glace de 5cm² : pas besoin de visser, ça rentre avec une pression de la paume… On gagne du temps quand le second nettoie la longueur !
Arrivée à la 2nd platform
Lassés de cette progression trop classique, nous quittons l’itinéraire pour suivre scrupuleusement le fil de l’arête plus technique. Traduction : j’ai mal lu le topo.
D’abord tout déroule bien, puis je bute sous un mur d’environ 6m de haut déversant et pourvu d’une fissure large et ronde. Persuadé et fier d’avoir trouvé si facilement le fameux Mantrap, je m’y attaque selon la méthode en vigueur : bourrinage et reptation, coincement de lame et de poings, étincelles des crampons sur la dalle. C’est un ballet d’éléphants où ne manque que le tutu !
Assez rapidement nous arrivons en vue de la difficulté finale de la voie, le 40 feet corner, qu’on atteint par le contournement aérien d’un ressaut de 6m déversant parcouru d’une fine fissure – il faudrait être naïf pour croire que ce passage pourvu d’un piton puisse être… le vrai Mantrap…
Ce dièdre est un véritable bijoux d’escalade mixte que nous trouvons dans des conditions très agréables. C’est sec donc plus délicat et plus technique, mais cela permet de grimper en finesse et c’est pour nous une première ! D’aucuns diront aussi une dernière…
Ce passage terminé, l’aventure perd de son charme : nous atteignons le sommet en quelques minutes et empruntons Abseil Post une seconde fois. Le créneau pour faire une grosse boulette est dépassé ! Le récit peut donc prendre fin 😉
Saluons simplement notre ami anglais, qui après nous avoir copieusement toisé de haut pour notre méprise entre le Frenchtrap et le Mantrap, se trouvera fort couillon en rentrant le lendemain de cette voie. Tard, très très tard… Fair-play, nous n’avons pas soufflé mot de l’affaire sur le site « UK climbing », la vengeance est un plat qui se mange en silence !