Dimanche 15h, après une longue journée d’escalade, les nuages nous empêchent de contempler le chemin parcouru depuis notre départ matinal du pré de Mme Carle mais nous nous régalons de la vue sur le Dôme et le glacier blanc. Le contraste est saisissant entre ces pentes de neige peu raides et le pilier de Gneiss aérien que nous venons de parcourir ! Le Pilier Sud reste une course sérieuse et on ne peut qu’être admiratifs de la cordée Franco qui l’a ouvert en une journée d’Aout 1944.
Sur la voie normale à la descente
Plusieurs stratégies sont possibles pour réaliser l’ascension du pilier Sud : en bivouaquant aux Balmes de François Blanc sur l’approche, dans le socle, plus haut sur le pilier (tour rouge et sommet du bastion notamment), ou bien à la journée avec un sac léger mais une belle bavante. C’est cette dernière option que nous avons choisi afin de grimper « confort » et que je recommande vivement.
Avec un petit sac, on grimpe le socle au lever de soleil et on s’évite ainsi trop de risques de chutes de pierres, soit naturelles soit déclenchées par des cordées déjà engagées plus haut sur le pilier. On peut de plus dérouler dans cette escalade parfois physique en n’étant pas trop scotchés par le poids du bivouac…
Partis du pré de Mme Carle vers 2h15, nous atteignons la rimaye 3 heures plus tard en compagnie de Clément et Pierre, respectivement guide et client très sympas avec qui nous ferons une grande partie de la journée. Une approche à un rythme de sénateur qui convenait parfaitement après quatre journées déjà bien remplies en montagnes ( et les soirées dans la cuisine du Sélé ;p ), et pour avoir un peu de visibilité à l’attaque.
On prend pieds sans soucis sur le rocher en rive droite sous le couloir des Avalanches, par contre la première longueur sur un rocher compact est délicate : du III+/IV seulement, mais très exposé.
La suite de l’itinéraire déroule bien pendant plusieurs centaines de mètres dans des gradins, puis un système de rampes et cheminées qui mènent au pied de la Tour Rouge où l’itinéraire commence à devenir plus aérien. Le rocher dans cette section est tout à fait correcte, et on progresse souvent en corde courte à la recherche du cheminement le plus simple. Si le topo peut paraître complexe à la lecture pas de soucis : le terrain amène naturellement sur le bon itinéraire et il faut simplement se préoccuper du cheminement « général ». Ici pas de questionnements métaphysiques sur ce qu’est une « cheminée caractéristique » ou une « vire évidente » : chaque fois qu’un choix se présente la seule option est celle qui n’est pas repoussante.
Au niveau du premier ressaut de la tour rouge par contre, le rocher se gâte et l’ambiance se fait sévère lorsqu’un bloc décroché par la cordée qui nous précède vient saluer de près mes chaussures. Nous avons eu un moment de doute après cette grosse frayeur, mais la retraite n’était plus une option et la suite de l’itinéraire semblait moins exposée aux chutes de pierres car plus souvent en décalé, le rocher étant de plus rarement aussi miteux…
Malgré ces quelques sections putrides, l’escalade des tours rouge et grise est souvent agréable et en bon rocher, à condition de bien suivre l’itinéraire. On arrive alors au pied du bastion de 300m, le ressaut clé qui concentre toutes les difficultés techniques de la course !
La première longueur nous permet, par une escalade facile puis une traversée aérienne, de contourner un mur déversant et de reprendre pied sur le fil du pilier. L’audace de cette traversée laisse pantois quand on s’imagine à la place des ouvreurs…
Nous parcourons ensuite des fissures et cheminées jamais difficiles mais soutenues, généralement en bon rocher, pour atteindre le mur terminal du bastion, déversant et compact. Une nouvelle traversée encore plus gazeuse nous attend, avec 1000m de vide sous les grosses au moment de franchir un surplomb délicat en rocher moyen. Autant dire qu’on apprécie la présence de quelques solides pitons ! Un dernier relais inconfortable, puis nous franchissons le « miroir », une dalle à l’ambiance fantastique et très facile.
Au dessus de ce relais, comme régulièrement sur le pilier, pend une corde, probablement laissée à la suite d’une retraite ou d’un secours qui a dû être périlleux et qui témoigne de l’engagement de cet itinéraire.
Les difficultés sont derrière nous, mais il nous reste 300m à gravir pour atteindre la croix et nous ne traînons pas malgré une terrasse qui invite à la sieste ! Contrairement aux prévisions, la météo est mitigée : les nuages nous accompagnent depuis ce matin et lors des trouées nous pouvons observer de nombreux cumulus autour de nous, bien qu’ils ne soient pas d’aspect menaçant.
Nous suivons l’arête facile, et lorsque celle-ci devient plus complexe, nous profitons de bonnes conditions de neige pour rejoindre rapidement l’arête par le glacier des Écrins. La sortie directe à la croix est aussi en condition, mais la présence de la cordée devant nous nous fait craindre des chutes de pierres lorsque nous évoluerons dans un couloir de neige exposé…

Nous retrouvons nos compagnons sous le sommet pour fêter cette superbe ascension, nous avons eu la chance de tomber sur une cordée très agréable et avec un rythme similaire au notre. La recherche d’itinéraire à deux cordées est toujours un peu plus facile, l’une corrigeant souvent les erreurs de l’autre, et l’ambiance moins austère.
Attention cependant au risque de chutes de pierres, il est idéal de parcourir ce pilier seuls, sinon il vaut mieux se suivre d’assez près pour éviter de se caillasser…
Nous nous régalons à la descente de la voie normale jusqu’à la brèche Lory, où le rocher nettoyé par de nombreux passages est sain et permet de s’assurer très facilement en corde courte. La trace sur le glacier est très bien faite, et évite de s’exposer aux chutes de séracs qui sont énormes cette année en rive gauche. On traverse cependant des crevasses gigantesques, il faut donc rester concentré encore un peu malgré une journée qui s’étire 😉
A 19h45, après une descente interminable tout juste coupée par une pause boisson au refuge du Glacier Blanc, nous retrouvons enfin nos sandales à la voiture. Difficile quand on revoit l’approche sur la moraine et le pilier de réaliser qu’on vient de s’enfiler tout ça.
Malgré notre grosse frayeur en milieu de journée, je suis heureux d’avoir pu parcourir cet itinéraire emblématique des Écrins avec un bon copain !