Cervin, histoire d’une traversée

Il y a des montagnes qui sont chargées d’histoires. Celle qu’on écrit parfois avec une majuscule, qui raconte une conquête épique où tous les éléments sont réunis : la difficulté, la rivalité et le triomphe immédiatement suivi du drame. Les petites histoires mesquines qui donnent parfois envie de renoncer à une belle ascension : les guides locaux qui font la loi, t’enferment dans le refuge, te marchent sur le casque pour descendre plus vite… Ça peut être aussi l’histoire familiale, celle du grand-père qui a passé beaucoup de temps à Zermatt à se rêver au sommet du Matterhorn, et n’en a pas eu l’occasion. Il faut peu de choses pour faire naître le désir !

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Sommet Italien du Cervin

Notre petite histoire commence à Breuil un mercredi matin, pas pressés. Le Cervin était prévu comme le temps fort de notre été, une longue course d’altitude à réaliser après une solide acclimatation en Valais, mais la météo en a décidé autrement. Le créneau était trop beau durant ces vacances…
Afin de mettre toutes les chances de notre coté, nous allons monter au refuge Carrel (3825m) en deux journées, avec une nuit au refuge Ondinio (ou refuge Duc des Abruzzes) à 2800m. La première journée est donc une paisible randonnée depuis l’intermédiaire du télécabine à Plan-Maison. A peine 300m de dénivelé et nous découvrons avec bonheur une petite chambre pour deux avec douche et des lits très confortables…

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Monte Cervino, arête du Lion

Retapés par une très longue nuit (et la sieste…), nous prenons la direction du Cervin de bon matin pour profiter d’un regel de qualité dans la montée au Col du Lion. Le chemin est bien marqué jusqu’à la croix en hommage à Jean-Antoine Carrel (premier ascensionniste coté italien en 1865, quelques jours après Whymper côté suisse…), puis fait place à un « chaos de cairns » mais l’itinéraire est évident. Une succession de névés et de gradins rocheux permet de monter facilement à hauteur du col où nous remplissons nos réserves d’eau en prévisions du refuge : 4L chacun car nous ne sommes pas certains de trouver de la neige à faire fondre autour de la cabane.

A partir de ce point, l’itinéraire devient plus exposé et nous mettons la corde pour traverser jusqu’au col dans des gradins enneigés. Rien de dur mais la chute est interdite. De bons becquets, quelques friends et des spits nous sécurisent efficacement.

 

On remonte alors l’arête sur 300m de dénivelé, par des gradins boueux puis du beau rocher avant de tomber rapidement sur les premières cordes fixes : ici le thème n’est pas à l’escalade libre mais à l’efficacité, tous les passages techniques sont équipés de grosses cordes fixes ou de chaînes, avec même une échelle proche du sommet ! Il faut dire que sans cela, la physionomie de cette course serait complétement différente…

Arrivés de bonheur (sic) au refuge, on prend le temps de contempler le départ de la course qui sera effectué de nuit, de discuter avec de sympathiques espagnols (ce seront avec nous la seule cordée amateur…), et de faire notre seconde sieste avant de manger nos délicieux lyophilisés : le standing est tombé d’un cran :-p

Le lendemain, nous attaquons les « cordes de l’éveil » à 4h15 : autant dire qu’elles portent bien leur nom…Cricri est brassée et n’est pas loin de laisser un « petit cadeau » aux suivants dans ce premier passage. On garde un rythme de croisière pour éviter tout malentendu gastrique, et on fait régulièrement le point pour savoir dans quelle direction poursuivre… Mais Cricri est solide, et plus on monte mieux ça va !
La veille avant d’aller dormir les guides de Breuil nous avaient prévenus :
« Nous on part à 5h, et on vous conseille de partir derrière nous car c’est très difficile de trouver l’itinéraire. Si vous partez plus tôt pas de soucis, mais on vous demande de nous laisser passer quand on arrive« .
Ça semblait bien plus sympa que du coté suisse, mais à 4h40 quand les 4 guides locaux m’ont doublé comme des cochons sans prévenir et en manquant de peu de me faire tomber pour le dernier, j’ai compris ce qu’ils voulaient vraiment dire :
« Nous on part à 4h25 sans faire manger nos clients, on les fait courir sans rien leur expliquer et on va te marcher sur le crâne. Alors les amateurs et les étrangers, vous êtes sympas, restez faire les nuls derrière on est pas là pour le plaisir !« . Je caricature un peu (à part pour l’un d’eux…), mais j’ai quand même fait promettre à Christine de m’euthanasier si je devenais ce genre de guide…

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La Dent d’Hérens depuis le linceul

Les passages clés s’enchainent avec fluidité – vallon des glaçons, mauvais pas, linceul, grande corde – et nous atteignons le Pic Tyndall : c’est pour moi le passage le plus délicat dans les conditions que nous avons rencontrées, escalade mixte facile mais dans un rocher déliquescent et difficile à protéger. A ce niveau, l’arête se couche et franchit « l’enjambée », une brèche qui donne accès au ressaut terminal.

Contrairement à l’alpiniste « lambda » qui décline avec l’altitude, c’est à ce point de l’ascension, vers 4200m, que Christine retrouve complétement le sourire et la forme ! Tant mieux car après des gradins faciles, on attaque de nouveau l’escalade de cordes fixes très physiques qui nous mènent rapidement au sommet. Techniquement, cette arête ne présente pas de grosses difficultés (il faut cependant bien maitriser l’assurage en mouvement pour tenir les horaires en sécurité), mais physiquement c’est un bon challenge de tirer autant sur les bras à cette altitude !! Quand à l’itinéraire, sans vouloir vexer les guides locaux, il est plutôt facile à suivre vu la quantité d’équipement et l’usure du rocher 😉

On atteint le sommet à 10h, avec un peu de retard mais il était difficile de faire mieux sans acclimatation… Il fait grand beau et nous avons les sommets italien et suisse pour nous seuls, c’est le pied. Christine sort la photo de son grand-père qui nous accompagne dans nos vacances, et à 95 ans le voilà qui réalise symboliquement son rêve : l’ascension du Cervin. Ce n’est pas grand chose, mais pour une fois on se sent un peu moins égoïste dans notre pratique !

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Au sommet avec Bon-Papa

Cricri n’ayant pas pris la tête à la montée à cause de ses soucis gastriques est maintenant en pleine forme et se charge de nous amener jusqu’au refuge Hornli, à commencer par la traversée gazeuse des sommets. Rien de difficile mais quelle ambiance !
On attaque la descente de la partie supérieure mixte sur de bonnes marches mais avec un rythme prudent, en repensant à l’accident de la cordée Whymper… Le début permet de se protéger un peu, puis on franchit une section « aux anneaux » avant de trouver des tiges scellées qui permettent de s’assurer facilement et mènent à un ressaut raide sur cordes fixes. La suite de la descente est beaucoup plus tranquille et très bien protégée. Le rocher est bon si l’on ne se perd pas et Cricri fait un excellent boulot de recherche d’itinéraire qui nous conduit sans encombre au bas de l’arête à 15h.
Le contraste entre les deux arêtes est énorme, la descente nous a paru bien plus facile malgré des cotations similaires… Une chose est sûre, nous ne recommandons pas la traversée dans l’autre sens !

A cet instant, nous avons encore le projet de dormir au refuge Teodulo ce qui implique de « courir » un peu jusqu’à Schwarzsee pour y prendre les remontées jusqu’au Klein Matterhorn avant qu’elles ne ferment. Les pieds en feu, nous arrivons avec 30mn d’avance aux remontées et nous découvrons qu’on peut y dormir pour le même prix qu’à Téodulo, le confort en plus et l’altitude en moins ! Un bon repas, une longue nuit, du rosé et un buffet de petit-déjeuner excellent à la place d’une heure de marche supplémentaire. Qui peut refuser ça ??

La suite arrive : Une belle ballade glaciaire sur Pollux et Castor…

3 commentaires sur “Cervin, histoire d’une traversée

  1. Beaucoup aimé le  » j’ai quand même fait promettre à Christine de m’euthanasier si je devenais ce genre de guide » 🙂 🙂
    Merci pour un autre super récit et encore bravo !

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