L’alpiniste comme le castor a les dents longues, mais à défaut de l’aider à construire des barrages, elles le font souvent trébucher sur des projets sur-dimensionnés ! Cette douloureuse réalité, largement partagée, nous a fait passer du Mont-Rose au festival Cosmo-Jazz pour terminer nos vacances !

Malgré la longue traversée du Cervin la veille, 10h d’un sommeil de gneiss (ici le plomb n’est plus d’usage) et un petit-déjeuner pantagruélique nous mettent dans les meilleurs dispositions pour reprendre notre traversée. L’objectif que nous nous sommes fixé est ambitieux : une journée de « repos » doit nous mener au refuge Ayas en passant par le sommet du Pollux (4092m), ensuite ce sera une longue bambée pour rejoindre le refuge Gnifetti en passant par le Castor (4228m) et la traversée des Lyskamm (4527m), puis la traversée de 4 sommets du Mont-Rose entre la Punta Parrot et la Punta Giordani… Un bel enchainement imaginé en sens inverse mais optimisé grâce à une sortie de camptocamp : merci à ses auteurs, c’est mieux comme ça !

L’arrivée au Klein Matterhorn en benne est confortable, on démarre notre journée sans trop forcer par une longue traversée jusqu’au pied de l’arête SE de Pollux. C’est dans cette traversée cependant que commencent les difficultés : le glacier est très ouvert et certains franchissements de crevasses sont loin d’être anodins. Chacun espacé de 20m sur un pont de neige fragile, avec de gros trous autour des pieds, nous ne faisons pas les malins ! La vue de personnes évoluant encordées n’importe comment dans ce bazar n’aide d’ailleurs pas à être serein…

L’aller-retour sur Pollux est une petite parenthèse de tranquillité, on suit d’abord une sente entrecoupée de passages d’escalade faciles, puis un ressaut rocheux raide s’escalade avec deux chaines. La première est pratique pour éviter une renfougne désagréable, mais la seconde est complétement inutile : il est plus agréable et moins physique de grimper sans artifices, sur un beau rocher fissuré en III…
L’arête finale en neige est très facile et bien tracée, et nous sommes rapidement de retour à la vierge pour manger. Petite particularité : ici la vierge se situe à mi-chemin, probablement car le sommet enneigé bouge chaque année…
De retour à la rimaye, nous reprenons pieds sur le glacier pour descendre au refuge. De nouveau, on traverse quelques crevasses mais surtout une longue zone exposée aux séracs. De gros blocs entourant la trace témoignent d’une activité non négligeable…
On fait encore des rencontres sympathiques à table, par contre la météo du lendemain est maussade et on hésite longuement à décaler nos plans. En effet il est prévu des pluies résiduelles en fin de nuit, et si on veut enchaîner sur le Lyskamm il va falloir atteindre le sommet du Castor au lever du jour…
Dimanche, 3h, le ciel est chargé et le regel est très faible. On a encore l’espoir d’avoir pris la bonne décision même si on se doute que c’est le déni qui parle… On traverse une première fois la zone de sérac en accélérant autant que possible, pour trouver la pluie après quelques mètres. Pas grave, c’est une averse, ça va passer ! Sous le Zwillingsjoch, l’averse devient une bonne chute de neige, on se décide à rentrer car avec les crevasses qui nous entourent, ce n’est pas le moment d’aller perdre la trace !! Face au vent à la descente, ce n’est plus une chute de neige mais la tempête, je vois à peine Christine à 20m de moi. On repasse une troisième fois la zone de sérac en maudissant notre optimisme, pour trouver la limite pluie neige et revenir au refuge trempés. Au moins on aura pu confirmer aux autres cordées l’enclenchement du « plan grasse matinée » !
Dimanche, 6h45, nous voilà repartis pour une troisième traversée de séracs. Cette fois le ciel est bleu et la météo est stable. Par contre il est plus difficile de trouver la motivation : l’obstination du matin a fait du mal au moral des troupes… Bien acclimatés, on arrive facilement au sommet du Castor par un itinéraire très sympathique, mais dont la difficulté ne correspond plus à la cotation du topo, avec une longueur de glace de 25m pour rejoindre l’arête effilée. On y trouve la foule venue de Quintino Sella, et on s’enfuit vite de ce sommet aux allures de kermess et où les alpinistes commencent à se bousculer pour s’agglutiner !
Une très belle arête nous mène à proximité du Felixjoch, avec une vue imprenable sur la traversée du Lyskamm : elle est en bonnes conditions et nous sommes parfaitement acclimatés, mais la décision est déjà prise. Retour en vallée et changement de thème, on a notre dose de haute-montagne, à nous pizzas et binouzes !
La descente sur Champoluc nous permettra de débriefer ce but : à trop vouloir en faire, on s’est tiré une balle dans le pied. Enchainer deux grandes courses (Cervin et Lyskamm) dans une même semaine et avec un niveau technique relativement élevé pour Christine était déjà ambitieux. Ajouter le Castor en échauffement à la traversée des Lyskamm était une ânerie, c’est déjà une grosse bavante lorsqu’elle est isolée… Le point positif, c’est qu’on progresse à chaque vacances : on a abandonné les courses techniques en rocher pourri comme à Coste-Rouge, et on intercale des journées détentes entre les grandes courses trop techniques comme au Zinalrothorn. On va finir par y arriver !
Après une pause d’une journée entre l’Italie et la France (hôtel, baignade, pastas…), on conclura nos vacances par une belle journée « montagne détente » : matinée randonnée avec errances dans les framboisiers sauvages et concert de jazz acoustique sur le site de Planpraz (merci à l’orga du Cosmo Jazz, carton plein !), suivi d’un parcours à la fraiche de la voie Frison-Roche au Brévent. Une jolie escalade plaisir parcourue en réversible pour oublier les crevasses et les cordes fixes !
Content d’avoir pu vous inspirer avec notre sortie sur C2C 🙂
Et dommage pour la météo parce que l’enchaînement castor lyskamm est de toute beauté et pas si exigeant physiquement, surtout comparé à la traversée du Cervin.
Stephane (gumiste du genre inactif!)